Le marché des chocolats en France a récemment été secoué par une décision de l’Autorité de la concurrence du 6 février 2024. Le géant du chocolat, De Neuville, ainsi que sa société mère, Savencia Holding, se sont vus infliger une lourde amende de plus de 4 millions d’euros pour avoir restreint la liberté commerciale de leurs franchisés. Cette sanction est le résultat d’une enquête approfondie menée par la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), mettant en lumière des pratiques contractuelles limitant la vente en ligne des produits De Neuville ainsi que les ventes à destination de la clientèle professionnelle.
1. Contexte et pratiques restrictives
De Neuville, avec ses 154 points de vente, représente un acteur majeur dans le secteur français de la chocolaterie. Son modèle de distribution repose largement sur un réseau de franchises, qui représente environ 90 % de ses points de vente.
La relation avec les franchisés s’établit à travers des contrats de franchise complété par des manuels opératoires détaillés. Ces documents encadrent notamment les modalités de la vente, incluant des clauses relatives à la vente en ligne et à la prospection de la clientèle professionnelle.
L’inspection menée par l’Autorité a révélé que De Neuville avait conclu des accords qui imposait des restrictions visant (1) à limiter la vente en ligne de ses franchisés sur le marché français de la vente au détail spécialisée de confiseries au chocolat et (2) à interdire les ventes passives des franchisés à la clientèle professionnelle établie hors du territoire exclusif concédé.
De Neuville a tenté de contester l’existence de telles pratiques restrictives, mais l’Autorité a jugé qu’il existait suffisamment de preuves pour conclure à des pratiques illégales:
– entre 2006 et 2014, les contrats de franchise interdisaient explicitement aux franchisés de vendre en ligne. Après 2014, cette restriction a été retirée des contrats mais subsistait dans les manuels au contrat avant d’être finalement abolie en 2019,
– entre 2006 et 2022, le cadre contractuel de franchise prévoyait des limitations dans la prospection de la clientèle professionnelle. Des règles strictes avaient été établies, contraignant les franchisés à prospecter en priorité dans leur zone de chalandise attribuée, avant de pouvoir élargir leur champ d’action.
2. Décision de l’Autorité de la concurrence
L’Autorité de la concurrence a qualifié les pratiques de De Neuville de restriction de concurrence par objet. Les contrats et les manuels opératoires ont été considérés comme des instruments d’entente verticale. En effet, les clauses restrictives intégrées dans les documents contractuels ont eu pour effet de fausser la concurrence, en empêchant les franchisés de vendre en ligne et en restreignant leur liberté dans la prospection de la clientèle professionnelle.
Cette décision s’inscrit dans la lignée des précédentes décisions de l’Autorité contre des pratiques similaires, notamment à l’encontre de Mariage Frères et de Rolex. Pour rappel, cette dernière avait été condamnée à payer une amende d’une valeur de plus de 91 millions pour avoir interdit à ses distributeurs de vendre leurs montres par internet.
L’amende de 4 068 000 euros pour De Neuville est justifiée par la durée significative des pratiques restrictives et le pouvoir économique du groupe auquel De Neuville appartient. L’Autorité a jugé que la taille et les ressources de ce groupe justifiaient une majoration de 8% sur le montant de base de la sanction. L’Autorité a également ordonné à De Neuville de communiquer la décision à l’ensemble de ses franchisés et de publier un résumé sur son site internet et dans le journal Le Monde.
3. Recommandation
Cette décision prise par l’Autorité française de la concurrence est également applicable en Belgique, les règles en matière de droit de la concurrence provenant du droit européen.
Elle souligne, encore une fois, l’importance pour les franchiseurs de respecter le droit de la concurrence au sein de leur réseau de distribution. Il est obligatoire de préserver la liberté commerciale des franchisés pour assurer un environnement concurrentiel équitable.
Pour déterminer si une infraction a lieu, l’Autorité a égard non seulement au contrat conclu mais également à tout autre document échangé au sein du réseau ou pratique (même non écrite). Il importe donc d’être particulièrement vigilant, les sanctions étant significatives.
Marie Canivet et Camille van der Loos
Cabinet Osborne Clarke
AVR