Caramels, pâtes de fruit et chocolat : la Cour d’appel d’Amiens annule le contrat d’un fournisseur français qui voulait se différencier des boutiques de chocolats belges.
Commentaire de l’arrêt prononcé le 26 octobre 2023 par la Cour d’appel d’Amiens (RG n° 21/01124)
Le 11 décembre 2015, un contrat de partenariat d’une durée de cinq ans ayant pour objet la distribution exclusive de caramels, pâtes de fruits et chocolats est signé entre un fournisseur et un partenaire commercial chargé de vendre ces produits dans sa boutique.
Par courrier recommandé du 16 octobre 2017, ce contrat est résilié par le fournisseur avec effet au 31 janvier 2018. Le tribunal de commerce de Belfort prononce ensuite la liquidation judiciaire du partenaire qui avait fait des investissements pour assurer l’exécution de son contrat dont la durée de 5 ans avait été écourtée par le fournisseur. Le tribunal désigne un liquidateur.
Le liquidateur assigne le fournisseur devant le tribunal de commerce de Beauvais aux fins de voir prononcer la nullité du contrat du 11 décembre 2015 et pour obtenir sa condamnation à lui payer des dommages et intérêts. Il est débouté par le tribunal le 12 novembre 2020 mais interjette appel de ce jugement devant la Cour d’appel d’Amiens.
Le liquidateur soutient que le contrat de partenariat doit être requalifié en contrat de franchise en raison des obligations qu’il met à la charge de chacune des parties : le fournisseur a mis à disposition sa marque contre paiement d’un prix d’entrée et d’un engagement d’approvisionnement exclusif et s’est engagé à former et assister son partenaire. De plus, le site internet le qualifie de franchiseur.
Le fournisseur conteste cette prétention en indiquant que le contrat est clairement dénommé contrat de partenariat et que cette demande de requalification est dénuée d’intérêt juridique dans la mesure où il ne conteste pas être soumis à la loi Doubin prévoyant l’obligation de communiquer un document d’information précontractuelle (le DIP), obligation qu’il a respectée. Il soutient qu’il s’agit d’un contrat sui generis se situant entre la concession exclusive et la franchise, dont l’objectif consiste à nouer un partenariat offrant la souplesse (facilité de réalisation avec un préavis de trois mois et sans indemnité pour le partenaire), la liberté (absence de royalties, de clause de non-concurrence et liberté en termes d’organisation générale, de politique commerciale et de prix pratiqués) et l’accompagnement (conseils et assistances sans ingérence). Il précise ne pas avoir transféré un quelconque savoir-faire et n’avoir demandé que le paiement d’un droit d’entrée à l’exclusion de toute autre somme à valoir sur le chiffre d’affaires.
Il convient de relever qu’un guide des bonnes pratiques a été remis au partenaire contenant un sommaire comprenant un paragraphe dédié à l’emplacement de la boutique dans lequel il est précisé que le fournisseur fait le choix de travailler sur le modèle inverse de la franchise, avec la volonté de se différencier des boutiques de chocolats belges. En fait, le contrat oblige le partenaire à s’approvisionner exclusivement auprès du fournisseur pour les produits qu’il fabrique en échange d’une clause d’exclusivité territoriale de 10 km. Le fournisseur l’autorise à commercialiser d’autres produits dans la limite de 20 % de l’offre. Le contrat prévoit également que le partenaire et le fournisseur coopéreront pour mettre en place une politique publicitaire et de communication adaptée. Il prévoit que les commandes sont passées au prix du tarif en vigueur sauf accord différent des parties sur ce prix. Enfin il est prévu que le contrat peut être résilié moyennant le respect d’un délai de préavis de trois mois et que la partie qui résilie le contrat n’est redevable d’aucune indemnité à l’autre.
Selon la Cour d’appel, si ce contrat contient certaines caractéristiques du contrat de franchise en organisant de façon exclusive la distribution des produits du fournisseur et que celui-ci se trouve mentionné sur le site internet intitulé toute la franchise.com, ces éléments sont insuffisants à permettre une requalification en contrat de franchise à raison de la souplesse de ce contrat facilement résiliable et permettant la commercialisation d’autres produits que ceux du fournisseur mais également en ce qu’il est peu onéreux, le coût étant limité à un droit d’entrée et le paiement d’un service d’accompagnement. En conséquence ni le contenu du contrat ni sa mise en œuvre ne justifient la demande de requalification du contrat de partenariat en contrat de franchise.
Mais la Cour d’appel est allée plus loin dans son analyse et s’est penchée sur le contenu du DIP. Elle constate que si le fournisseur a respecté en majeure partie les obligations mises à sa charge par la loi Doubin, il n’a pas pu délivrer l’information relative à la liste des entreprises appartenant au réseau ou l’ayant quitté dans la mesure où le nouveau partenaire n’était que le deuxième d’un réseau en devenir. Le partenaire a donc pu sérieusement croire qu’il intégrait un réseau en pleine activité. Par ailleurs, il n’y avait aucune raison pour le partenaire de mettre en cause les informations communiquées dans le DIP portant sur l’existence d’un réseau de sorte qu’il ne peut lui être fait grief de ne pas s’être renseigné, l’obligation d’information étant à la charge du fournisseur.
En outre, le fournisseur n’avait pas communiqué dans le DIP l’état général et local du marché des produits devant faire l’objet du contrat et les perspectives de développement de ce marché.
En conséquence dit la Cour, si le partenaire avait eu connaissance que le réseau n’était pas constitué, cette information, associée à celle portant sur une présentation du marché local, aurait pu l’amener à ne pas contracter ou à contracter à des conditions différentes, de même que la remise de ces informations à son expert-comptable aurait pu permettre à ce dernier d’être plus mesuré dans l’établissement des prévisionnels. La Cour prononce alors la nullité du contrat de partenariat à raison de l’erreur ayant entaché le consentement du partenaire.
Compte tenu de l’annulation du contrat, le partenaire demandait d’une part la restitution de ce qu’il avait payé mais également l’allocation de dommages et intérêts. Dans ce cadre il demandait le remboursement des frais de formation payés en pure perte, les apports versés par le dirigeant pour permettre la poursuite du contrat, la somme empruntée pour équiper le magasin et les frais de changement de nom commercial après la rupture du contrat. La Cour ne lui alloue qu’une partie de ces demandes pour différents motifs ayant trait règles du Code civil français et à la jurisprudence française en la matière.
Conclusion : en droit français comme en droit belge, le franchiseur a intérêt à rédiger complètement le DIP pour éviter la nullité du contrat pour vice de consentement.
Pierre Demolin
Avocat aux barreaux de Mons et de Paris
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